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sept 25

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L’Internationale des constituants

Il y aura en Espagne et probablement en Europe un avant et un après Podemos, ce parti qui n’existe pourtant que depuis 6 mois et s’apprête à peine à célébrer son congrès fondateur.

Ce mouvement, formé par une équipe d’universitaires madrilènes proches de Pablo Iglesias, s’inscrit durablement dans la vie politique espagnole, après avoir créé la surprise lors des « élections européennes le 25 mai 2014.

C’est un immense élan d’espoir, une vague de re-politisation de la société qui provoque une onde de choc dans tout le pays, ancrant la sensation que Oui, Podemos, cette fois, « c’est possible ». Les sans-voix écrasés par les mesures d’austérité depuis 7 ans, scandalisés par l’insupportable corruption systémique, réussissent enfin à se faire entendre, ces sans-voix dont la parole et la souveraineté ont été confisquées par les technocrates de Bruxelles et par la « caste » politico-économique, comme l’a martelé Iglesias pendant toute la campagne.

Pour Podemos, l’urgence est donc avant tout de changer les règles du jeu institutionnel, biaisées par les dominants, en lançant un vaste processus constituant. Les horizons du Parti de Gauche et de Podemos sont donc amenés à converger, comme nous le proposent d’ailleurs les représentants de ce parti. Au Remue-Méninges et au stand du Parti de Gauche à la Fête de l’Humanité, Jorge Lago et Pablo Bustinduy ont évoqué cette nécessité d’une collaboration internationale et ont invité Jean-Luc Mélenchon à leur Assemblée Citoyenne fondatrice Si se puede, « oui, c’est possible », à laquelle pourront participer et voter les 120 000 adhérents de Podemos, grâce à un système ouvert de participation en ligne.

L’irruption de Podemos bouleverse le paysage politique espagnol. Elle a entraîné l’abdication précipitée du roi, preuve de l’affolement des forces qui soutiennent le consensus constitutionnel de la Transition de 1978, les conservateurs et les socio-libéraux. L’alternance traditionnelle au pouvoir entre PP et PSOE semble enfin compromise. A plus de 20% dans les sondages, le parti de Pablo Iglesias s’apprête à dépasser un PSOE à la dérive. Le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol n’est plus qu’une pâle silhouette du parti fondé en 1879 par l’autre Pablo Iglesias, clin d’œil de l’histoire. Mais, ici, le 25 mai 2014 et l’élection surprise de 5 eurodéputés de Podemos est à 1879, comme « un 18 Brumaire de Louis Bonaparte » inversé. A rebours de l’histoire de la réaction, celle des progressistes ne se répète pas médiocrement. Elle crée, elle innove, elle refonde le politique comme vecteur d’émancipation collective et sociale.

On se fatigue à lire dans les médias français que Podemos est le parti des Indignés. Rien dans le mouvement de Pablo Iglesias n’est laissé au hasard, ni s’inspire réellement de la désorganisation enthousiaste de la Puerta del Sol de mai 2011. Les promoteurs de Podemos ont plutôt été des conseillers d’Izquierda Unida et de Hugo Chavez, que des membres assidus des assemblées de quartiers agitant leurs mains. Ils ont néanmoins étudié, accompagné, interrogé le 15M, à commencer par les nombreux débats qu’ils y ont consacrés dans leurs émissions de télévision propres, diffusées sur les réseaux, avant que Pablo Iglesias ne se lance en politique.

C’est donc un long processus d’élaboration intellectuelle, proche du notre, qui conduit à PODEMOS. Le pari un peu fou de lancer une liste européenne, sans parti ni moyens, est une conséquence de la participation des principales figures du mouvement aux processus citoyens latino-américains du Venezuela, d’Equateur ou de Bolivie. C’est aux côtés d’Evo Morales justement qu’Iñigo Errejon, coordinateur politique de la campagne européenne, comprend les mécanismes qui conduisent à une vaste mobilisation populaire émancipatrice. Il observe comment, dans une société pourtant composite et éclatée, soumise aux coups de butoir du libéralisme, il est possible de fédérer un « peuple » autour d’une figure charismatique centrale et d’un discours volontairement populiste, en rupture avec les institutions. En Espagne, dans un contexte national radicalement différent, les mouvements sociaux jouent un rôle central dans l’essor de cette nouvelle force. Le public des premiers succès de Podemos est habité par l’indignation qui a fait tâche d’huile dans la société espagnole, malgré la dissolution progressive du 15M. Mais ce sont surtout les militants organisés et engagés dans les marées citoyennes, post 15M, qui ont canalisé et pré-politisé les attentes vagues de la Puerta del Sol vers des revendications et des formes d’actions plus efficaces (défense des services publics, des jeunes sans avenir, lutte contre les expulsions immobilières…). Cette indignation, ce substrat social de mécontentement s’est évidemment renforcé avec les terribles effets de la crise économique entretenus par les mesures austéritaires du PP : plus d’un million d’Espagnols ont quitté le pays depuis 2007, un tiers des enfants sont au bord de l’exclusion sociale, on compte plus de 6 millions de chômeurs. Pourtant, quand surgit Podemos, début 2014, l’agitation sociale est en situation de reflux malgré quelques soubresauts comme la marche de la Dignité du 22 mars.

Comment redonner espoir à cette masse désabusée par les lois réactionnaires du PP, appuyées par le silence d’un PSOE qui avait lui même entériné la règle d’or budgétaire du TSCG, sous Zapatero? Le mode opératoire de Podemos se fonde sur trois axes. D’une part, il y a le constat d’un décalage complet des propositions des forces de gauche en présence (IU, Equo, PSOE) avec ce contexte d’urgence sociale et les attentes très fortes en terme de rénovation des formes de participation politique héritées du 15M. Il fallait donc lancer une liste dont le programme et la composition seraient décidés par des primaires ouvertes et refuser toute forme de coalition ou pacte électoral qui rappelle l’ancien monde. Il fallait ensuite « refuser le champ du discours où voulaient nous enfermer nos ennemis », déplacer la latéralité traditionnelle gauche/droite par d’autres formes d’identifications collectives, « ceux d’en bas contre ceux d’en haut », « les gens » contre « la caste » qui facilitent « l’agglomération d’un nouveau sujet politique populaire », explique Luis Alegre, responsable de l’organisation. « Le système n’a pas peur de la gauche, il a peur du Peuple ». Enfin, c’est aussi et surtout l’immense popularité dans les réseaux sociaux et les médias de Pablo Iglesias. Son combat courageux, posé, argumenté contre tous les laquais libéraux qui lui sont envoyés sur les plateaux de télévision permet de donner une visibilité forte à ce nouveau message. Puis, comme le reconnait Luis Alegre, « la campagne s’est faite toute seule » comme une déflagration fulgurante.

Les liens de fraternité qui se resserrent avec Podemos, tant à la GUE/NGL qu’avec nos camarades du PG en Espagne ouvrent des perspectives internationales nouvelles. Le mouvement pour la 6ème République que porte Jean-Luc Mélenchon et qui prend une nouvelle dimension dans la crise de régime que traverse la France, construit cette nouvelle internationale des constituants, dont nos frères d’Amérique latine ont posé les premiers jalons.

 

François Ralle Andreoli

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